Dawa Sherpa et Dorji Sharpa m'ont accompagnés au sommet du Cherko ri et m'ont permis de la déguster....
Préambule.
La déesse Indoue Durga, épouse de Shiva, est dotée de cinq paires de bras (neuf selon certaines sources). Je pense, lors de notre voyage au Népal avoir découvert la cause de cette anomalie morphologique.
Certes, celle-ci a fort à faire dans la mesure où elle est responsable de la préservation de l’ordre moral et de la justice dans la création.
Mais je pense que la raison principale est qu’elle est certainement la patronne des dessinateurs et aquarellistes qui s’aventurent dans ces contrées. Dans ce pays d’immenses et merveilleuses montagnes, les paysages, les scènes de la vie rurale, les costumes de chaque ethnie rencontrées, lacs et torrents, maisons traditionnelles ou temples bouddhiques, chortens et monastères, cascades glaciaires ou vols de pigeons, l’énergie des porteurs et le sourire des gamins constituent d’innombrables sujets de dessins dont le nombre et la variété risquent de décourager le dessinateur le plus entreprenant. Neuf paires de bras ne seraient donc pas de trop….
Prétendre faire un « carnet de voyage » dans un tel pays est donc un défi que je relève avec naïveté et inconscience, mais, je n’ai qu’une seule paire de bras (et encore, plus tout à fait complète !).
Nous sommes venus ici pour voir les « grandes montagnes ». Elles sont omniprésentes. Mais elles se défendent bien ! Pour les approcher, il faut traverser les massifs secondaires et remonter d’immenses vallées. Cela commence par une mauvaise route, qui se dégrade rapidement, avant qu’elle ne devienne exécrable. Puis c’est une piste défoncée qui empire. Celle-ci contourne des versants escarpés souvent emportés par des glissements de terrains au milieu desquels quelques pelles mécaniques tentent de restaurer tant bien que mal des passages improbables entre blocs de pierres et coulées de boues. On est vraiment content de pouvoir arriver à destination (ce qui n’est pas donné à tous les voyageurs !)
Sur ces routes, les chauffeurs se font la course, et ici comme en ville, chaque centimètre à prendre sur les autres véhicules est conquis et conservé avec acharnement…
Chaque fois que les pentes s’adoucissent quelque peu, c’est un paysage de terrasse et de culture qui se développe, la montagne est partout habitée.
Nous ferons étape à Syaphrubesi (1400 m) au fond de la vallée de la Trisuli Besi avant d’attaquer le trek.
Celui-ci commence par la traversée d’une grande passerelle métallique, jetée sur la Trisuli Besi. C’est impressionnant, bien que moins pittoresque que les passerelles de liane ou de branchages dont nous avions vu les photos sur les récits d’approches des premiers himalayistes, ou dans « Tintin au Tibet », car nous sommes ici dans le Langtang, qui fut le décor qui inspira Hergé.
Il nous faudra deux jours pour nous dégager des gorges et des immenses forêts dans des versants très redressés. Au début, c’est une jungle d’altitude difficilement pénétrable. Nous croisons des groupes de gamins qui dévalent les sentiers en escaliers avec leurs cartables : c’est la fin des vacances qu’ils ont passés chez leurs parents dans les villages d’altitude, et ils retournent dans leurs écoles de la vallée où ils sont pensionnaires.
Les sommets que nous pourrions entrevoir du fond de ces étroites vallées sont pris dans les nuages.
Derrière les bancs de brumes, accrochées aux falaises parfois surplombantes on peut parfois découvrir, suspendues comme de grandes draperies orangées les immenses ruches que viennent ici construire les abeilles de l’Himalaya (apis Cerana : abeilles sauvages, plus grosses que nos « apis mellifera »).
Ce soir nous ferons étape à « Evening View & Moonlight » à Rimche 2400 m. (Hot shower, s’il vous plait !)
La dimension des arbres et la puissance des torrents sont à la mesure de l’ampleur du relief. C’est l’étage des Rhododendrons qui sont ici de véritables arbres. Il nous faudra une seconde journée de marche pour que le relief se dégage enfin.
« River side », au détour d’un méandre, c’est l’éblouissement : derrière les versants boisés, jaillissent les sommets du Langtang tout caparaçonné de glace étincelante dans la lumière du matin.
Langtang, 3400 m. Nous y passerons 4 nuits. Village d’altitude habitée par l’ethnie Tamangs qui vit de l’élevage de Yak (et aussi un peu de celui des trekkeurs) qui transhument ici entre deux moussons (les yaks, mais aussi les trekkeurs !). On y fabrique aussi un excellent fromage de yak selon une méthode amenée ici par un fromager Suisse.
Puis c’est la montée à Kangching Gumpa, 3800 m, extrémité de la partie habitée de la vallée, et porte de la haute montagne.
Kangching Gumpa est dominée par le « Cherko Ri », sommet débonnaire de 4985 m à 5033 m (selon les cartes) qui a décidément une allure bien sympathique pour un parapentiste. C’est aussi un pèlerinage Tibétain : son sommet est occupé par une forêt de mats de prières dont les drapeaux claquant au vent seront autant de manches à air …
Oui, car je ne l’ai pas encore précisé, j’ai une petite voile de haute montagne ultra légère, équipée d’une sellette « string », le tout faisant à peine 3 kg. Tellement légère qu’on peut facilement l’oublier au fond d’un sac. Je ne souhaitais pas imposer à mes compagnons de voyage les contraintes d’un parapentiste en recherche d’un beau vol, seulement voilà, il y a des opportunités qui s’offrent à vous spontanément et qu’il n’est pas interdit de saisir.
Demain matin donc, pourquoi ne pas monter pour tenter un décollage du sommet ? Et puis aussi, aux abords du village, une jolie pente permet de sortir la voile et de faire quelques petits décollages de remise en jambe, tout en faisant l’attraction pour les gamins du village.
Evidemment, je n’ai aucun repère météo. Cela n’est pas gagné d’avance : on peut voir fumer les crêtes à 7000 m d’altitude : il souffle là-haut un fort courant d’Ouest. Nous apprenons par un trekkeur sérieusement atteint d’une crise de MAM (mal aigu des montagnes : œdème cérébral et/ou pulmonaire) en attente d’une évacuation urgente, que les hélicoptères ne décollent pas de Katmandu du fait de la couverture nuageuse.
Mais il y a des « fondamentaux » : la brise de vallée se lève en fin de matinée, et elle peut devenir vite violente. Par conséquent il faut viser un décollage matinal.
Soirée conviviale dans la cuisine du Lodge : ce soir je suis le seul client. Les plats sont cuisinés sur le foyer traditionnel qui brule de la bouse de yak séchée selon un process que nous avons pu découvrir tout au long du chemin. Lever à 4h 30 du matin, départ 5h. La nuit est magnifique, c’est un jour de pleine lune, et les glaciers étincellent. Très vite l’Est s’éclaircit, et les sommets s’allument les uns après les autres en commençant par les plus hauts. C’est un bon sentier qui mène au sommet.
Nous traversons des alpages où somnolent des troupeaux de yaks, contournons une volée de pigeons qui au sol attendent le lever du jour pour décoller. Avec Dawa et Dorchi qui m’accompagnent, nous nous étions donnés 3 h pour gravir les 1200 m de 3800 à 5000 m. Le timing est respecté, il est 8 h quand nous atteignons le sommet couronné d’une petite forêt de mats de prières, et d’un entrelacs de drapeaux qui à cette heure matinale s’agitent à peine dans les petits airs de ce matin calme. Le décollage s’annonce bien. Comme nous sommes sur le fil de la frontière avec le Tibet « chinois », c’est vraiment une très bonne nouvelle, car si jamais les conditions ne permettaient pas de décoller, le retour serait : A pied … .. ….. !
Le paysage est magnifique, versant tibétain, on devine un immense plateau couvert d’herbage ras qui s’étend à l’infini dans des couleurs automnales. De grands glaciers dévalent des crêtes et se répandent entre des éperons rocheux. Des arêtes de glace sont suspendues en plein ciel et tombent en draperies de glace….
Mais le destin du parapentiste n’est pas dans la contemplation, il est dans la recherche d’un décollage ! Les drapeaux de prières qu’on pouvait voir hier soir à la jumelle s’agiter furieusement dans la brise ont transmis la mienne : avoir ce matin des conditions calmes pour un décollage serein. Je suis exaucé presqu’au-delà de ma demande. Sur l’arête plein sud qui descend du sommet, la faible brise hésite entre les orientations SE et SW. Je me laisse un peu de temps pour voir laquelle l’emportera. Finalement j’opte pour le versant SW, où je trouve un bel espace de décollage à 30 m sous le sommet.
Je décollerai vers 9 h pour un vol tranquille en direction du village de Langtang. Conditions très calme, je ne rencontrerai la brise de vallée qu’en toute fin de vol, elle ne me gênera pas. Posé à 3400 m d’altitude dans les pâturages ou paissent paisiblement chevaux et yaks.
Attention, à cette altitude ça va vite, très vite ! J’avais bien anticipé un bel espace libre de tout épineux, car là-haut la végétation peut être très agressive pour les voiles.
Un villageois m’accueille et j’irai prendre le thé chez lui, avant de rejoindre mes compagnons de route par une aimable ballade. Ceux-ci terminaient leur petit déjeuner et m’attendaient sereinement : ils avaient pu voir mon aile en vol alors que j’étais à près de dix km !
Ce sera ensuite la redescente dans la vallée, deux jours où nous retrouverons d’abord les forêts, puis les cultures en terrasse et les villages.
Nous assistons au spectacle du travail des champs : récolte à la faucille et battage en utilisant les brises de vallées, séchage des grains sur de grandes dalles, réparation et entretien des terrasses. Spectacle serein et champêtre dont le pittoresque ne peut pas faire oublier la rudesse des conditions de vie là-haut.
Fin de l’épisode « La cerise sur le gâteau »
Prochain épisode (en projet) : « Le gâteau sous la cerise ».
Pierre-Do Bayart
Décembre 2010/janvier 2011.