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20 décembre 2007 4 20 /12 /décembre /2007 12:02

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Aconcagua, le récit….

 

Je dédie ce récit à Gertrude, –On  l’appellera Gertrude-, la mule

 qui m’a descendu de la haute vallée  des Horcones

avec efficacité et professionnalisme.

Gertrude, je n’oublierai pas ce que tu as fait pour moi ce jour là !

 

Avec ses 6962 m d’altitude, l’Aconcagua, la sentinelle de pierre des indiens Quechua, est le point culminant de l’ensemble du continent américain (nord et sud).

Elle est située en Argentine, sur la même latitude que Santiago du Chili et Buenos Aires, ce qui correspondrait dans l’hémisphère nord, à la latitude du Maroc (Rabat). Sur le plan technique,  par la voie normale, c’est la plus facile des grandes montagnes de monde, ou, comme on voudra, la plus grande des montagnes faciles du monde. Pour cette raison elle est très fréquentée…

Les difficultés d’ascension proviennent de l’altitude et de la rudesse du climat. La Cordillère des Andes, haute mais étroite chaine montagneuse située entre l’océan pacifique frais et humide, et la plaine argentine chaude et sèche, est une puissante machine à fabriquer du vent, et ceux ci sont très fréquents et très violents. Gravir cette montagne et envisager de décoller du sommet en parapente est donc un projet complètement déraisonnable, aussi quand j’ai appris que Marc Boyer (qui l’avait déjà fait en parapente tri-place en 2004) proposait d’y emmener une équipe de parapentistes, je n’ai pas hésité une seule seconde avant de m’inscrire pour cette aventure….

Nous débarquons donc à sept à Santiago du Chili le 24 novembre. L’Aconcagua est au centre d’un parc National, la première chose à faire est de traverser la Cordillère pour aller à Mendoza en Argentine obtenir le permis d’ascension (90 US$ en basse saison…).

 

Mardi 27 novembre, nous nous faisons enregistrer à l’entrée du parc à 2700 m d’altitude, il est donné à chacun d’entre nous un sac de « déchets » numéroté qui devra obligatoirement être rendu et contrôlé au retour.

A l’issue d’une agréable montée d’une bonne demi-journée de marche, avec des sacs légers car l’essentiel de notre matériel est porté par des mules, nous arrivons au premier camp de base de « Confluencia », 3300 m d’altitude, très aimablement accueillis par notre hôtesse Eugenia.Nous y passerons les deux premières nuits. 

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Les camps de bases.

Dans la très longue et superbe vallée des « Horcones » qui mène à l’Aconcagua, sont installés deux camps de base : Confluencia (3300m), et Plazza de Mulas (4300 m). Y sont installées en permanence des tentes confortables : tente mess, tente dortoir avec lits de camp. Il y a des points d’eau, des toilettes, un poste de garde du parc, un poste médical où il faut en principe se faire contrôler, et quand ça marche, radio, internet, téléphone…..

 

Mercredi 28 novembre : trek d’acclimatation à l’altitude, nous montons à « Plazza Francia » (4250 m) au pied de la face sud de l’Aconcagua, et retour à Confluencia. Nous découvrons le glacier inférieur des Horcones, et surtout la grandiose face sud qui développe sur 3000 m de haut ses glaciers suspendus et ses éperons rocheux…..

Autant la voie normale de l’Aconcagua est facile, autant la face sud (qui, comme nous sommes dans l’hémisphère sud, correspond à une face nord chez nous), est raide et difficile. En 1954 une équipe  française à ouvert dans cette face une voie d’escalade qui est restée mythique. Tous les membres de l’équipe sauf un, victimes de gelures, y ont laissés un ou plusieurs doigts ou orteils…. Gilles, le fils de nos amis Toulemonde, s’y est frotté il y a quelques années, et il m’a prêté une partie de son équipement : surbottes et surtout un excellent duvet d’altitude…

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Les mules.

A elles seules, les mules et la manière dont elles sont conduites mériteraient le voyage. Dans cette immense vallée des Horcones, c’est le seul moyen de transport, et du fait de la fréquentation il y a un très important besoin d’approvisionnement (vivres, équipement et matériels divers….). Elles assurent l’essentiel de la logistique. La vallée des Horcones est un cul de sac sans échappatoires, on ne peut que monter ou descendre la vallée. Chaque mule de bât porte au maxi 60 k . Elles montent (ou descendent) la vallée en liberté, sous le contrôle d'arrieros qui les dirigent au sifflet, montés sur des mules de selle (deux arrieros contrôlent 4 à six mules de bât). Elles sont d’une efficacité impressionnante : rapidité, agilité dans toutes les sortes de terrains : pentes d’éboulis, champs de pénitents, torrents à traverser…. Le seul reproche qu’on puisse leur faire, c’est leur caractère ombrageux et indocile, ce qui a conduit les gauchos à inventer pour les conduire des techniques  particulières que j’aurai l’occasion de voir mettre en œuvre dans quelques jours….

 

Jeudi 29 novembre.

En remontant l’interminable mais magnifique vallée des Horcones, nous montons au camp de base principal de Plazza de Mulas 4350 m. Nous y serons hébergés non pas sous la tente, mais dans l’immense refuge, tenu par Eduardo, un argentin qui a commencé sa carrière de gardien au Refuge du Portillon dans les Pyrénées. Il parle parfaitement le français, et il nous assistera de manière très efficace. Il dirige une équipe de charmantes hôtesses. Nous  serons cocoonés…. 
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Vendredi 30 novembre : journée de repos.

Nous sortons les parapentes pour les vérifier, faire les réglages haute montagne… 
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Samedi 1er décembre.

Nous attaquons les choses sérieuses : portage de matériel pour équiper un camp d’altitude à Nido de Condores à 5555m d’altitude. Redescente au refuge, grosse journée avec 1200 m de dénivelé en montée et en descente. undefined

 

Les camps d’altitude et la gestion de l’acclimatation.

Pour espérer atteindre un sommet d’une altitude comme celle de l’Aconcagua, il faut nécessairement faire une ou plusieurs étapes dans un camp d’altitude où il faut monter tente, duvets, vivres, réchauds, pétrole pour les réchauds car il n’y a pas d’eau, et il faut faire fondre de la neige ou de la glace (et celle des pénitents est bien plus pratique à manipuler que la neige !). Sur les pentes de l’Aconcagua, les principaux  sites de camps d’altitudes sont les camps « Canada » à 5043 m, Nido de Condores (le principal) à 5550m, et le camp « Berlin » à 5933m. La gestion des camps d’altitude est utilisée également pour acclimater l’organisme à l’altitude. A 7000 m d’altitude, la pression et l’oxygène sont réduit à 40% de ce qu’on trouve au niveau de la mer, et seule une adaptation de l’organisme (multiplication des globules rouge) permet d’y survivre et d’y faire des efforts. Pour cela la seule manière de procéder est de passer du temps en altitude en faisant des paliers et en alternant repos et efforts….

 

Dimanche 2 décembre.

Journée de repos
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Les pénitents.

Du fait de la sécheresse de l’air, et des contrastes de températures, dans cette région de la Cordillère des Andes, toutes les étendues de neige prennent une configuration très particulière, elles se transforment en champs de pénitents, c’est à dire des chandelles de glace de 2 à 3 m de haut qui forment des labyrinthes qui peuvent être très difficiles à traverser…

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Lundi 3 décembre : ascension d’acclimatation du Pic Bonete (5005 m)

 

Mardi 4 décembre : journée de repos et d’acclimatation au refuge, le vent se lève, et il fait très froid.

 

Mercredi 5 décembre : du fait du froid et du vent, nous différons la remonté prévue au camp de Nido de Condores, et à la place nous faisons une nouvelle course d’acclimatation : le Port Del Cathedral, 5050 m, vue magnifique sur l’Aconcagua et son itinéraire de montée…

 

Jeudi 6 décembre. Journée de repos, nous avons des informations météo qui nous décident à programmer l’attaque du sommet. Une accalmie du vent d’ouest est prévue pour dimanche, avant un nouveau renforcement du vent. Par conséquent nous programmons les trois jours suivants…

 

Vendredi 7 décembre : Montée à Nido de Condores avec les vivres pour 3 jours et les parapentes….

 

Samedi 8 décembre : repos à Nido de Condores avant le sommet…
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 Avec ce dessin, se termine la partie du carnet de voyage réalisée sur place. Demain, ce sera le sommet, la tempête, les doigts gelés, l'évacuation... Mais ce n'est pas la fin des dessins. Certes, j'ai les mains encombrées de pansements, mais j'ai tant de paysages et de scènes extraordinaire dans la tête que je les transcrirai malgré tout, et au diable pansements et bandages!


      Je me sens en excellente forme, j’ai bien vécu toute la période d’acclimatation, je me nourris bien, j’arrive à dormir…Je n’ai pas eu comme mes compagnons de mal de tête nécessitant la prise d’aspirine.. Nous avons subi un petit test : mesure du taux d’oxygénation du sang, pour la valeur 100 au niveau de la mer, le niveau minimum requis est de 75  (à 65 on est en état de déclencher un œdème pulmonaire). Je suis à 89, tout va bien.

Juste un problème récurrent qui est devenu pour mes compagnons un sujet de plaisanterie. Tous me reprochent de marcher trop vite et de faire des pas trop irréguliers. « Pierre ! Fait des petits pas ! Tu va t’épuiser ! » est devenue une phrase récurrente….. Je suis fait comme cela ! J’ai beaucoup de mal à réguler mon allure… Je leur explique aussi que pour mes premiers petits-fils Arthur et Eugène nés en Californie  quand est venu le moment de me choisir un nom, j’en ai cherché un qui ait une consonance américaine, et c’est ainsi que je suis pour eux « Grand’ Pa ». Bien sûr ! Comme le dit notre amie Catherine, celui qui fait des grands pas dans la montagne ! …..

 

Dimanche 9 décembre : C’est le grand jour, nous attaquons le sommet !

Le programme est le suivant : lever 23 h pour un départ à minuit. Nous avons 1400 m de dénivelé à gravir pour atteindre le sommet que nous espérons atteindre avant 10 h du matin pour pouvoir décoller avant qu’une trop importante activité thermique ne se développe. Le vent annoncé est W 20/30 km/h. Le décollage du sommet est très improbable, aussi nous avons prévu de redescendre 350 m plus bas au début de la « Canaletta » qui serait à priori plus favorable. Si nous pouvons décoller, l’atterrissage est prévu à l’entrée de parc National, soit à deux jours complets de marche, et là nous attendrons tranquillement en buvant des bières que notre matériel laissé dans les camps d’altitude soit redescendu à Plazza de mulas par des porteurs, et de plazza de mulas à l’entrée de parc par des mules…..

 

En fait les choses ne se sont pas tout à fait passées comme cela….

A minuit trente, nous partons à la lumière des frontales, il fait très froid bien sûr, mais nous sommes bien équipés, progression très régulière, nous dépassons le camp de Berlin (5933 m) il fait encore nuit…A aucun moment de cette journée je n’ai pu consulter ma montre (qui indique outre l’heure, l’altitude et aussi la température) car celle-ci n’était pas facilement accessible du fait du nombre de couches de vêtements que j’avais empilés, par conséquent mes repères sont approximatifs. Je suis concentré sur l’effort que j’essaie de rendre aussi régulier que possible….
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Lever du soleil: l'ombre du sommet de l'Aconcagua s'étend jusqu'au pacifique...
            Un moment le groupe s’arrête, nous sommes à 6300 m Marc nous dit : Le vent est déjà trop fort, nous ne pourrons pas voler. On pose les sacs (qui contiennent les ailes), on  enfile les doudounes pour continuer vers le sommet.
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Nous atteignons une cabane en ruine, l’ancien « refuge » Indépendancia (6377 m). Là, deux d’entre nous décident d’arrêter : Benjamin a vomi, Pascal a trop froid. 
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Une longue traversée ascendante nous amène au pied de la « Canaletta », unique et dernière difficulté de l’ascencion, la paroi se redresse dans les 350 m derniers m avant le sommet.
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Ha ! Cette Calanetta ! J’y aurai vraiment souffert ! 350m, c’est une jolie colline dans la Drôme, mais ici, que c’est long, que c’est dur !

 Marc se maintient à proximité de moi.

      -   ça va Pierre ? Me demande t’il. Je perçois l’inquiétude dans sa voix.

            -   ça va !

Le terrain n’est pas vraiment difficile, mais ce qui l’est c’est de progresser ! J’ai du mal à conserver mon équilibre, les poumons me brûlent. Je distingue les silhouettes de Michel et de Jérôme au-dessus de moi. Contourner des éperons, trouver le passage entre des barres rocheuses….. J’ai un peu perdu mes repères temporels. Un moment, nous croisons Gilles qui a atteint le sommet et qui redescend. J’ai en tête la fameuse photo prise du sommet et qu’on voit partout en Argentine et qui montre la sortie de la Canaletta par une sorte de replat que je guette et qui n’arrive toujours pas….

Enfin  je vois sur un massif rocheux les silhouettes enfin immobiles de Jérôme et de Michel qui me font signe.

-        Sommet ! Me crient t’ils.
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Un ultime effort et j’y suis, accueilli chaleureusement.

-        Je n’ai jamais vu çà ! me dit Marc en me regardant et en m’acceuillant !

 Je m’écroule…. Photos, embrassades. Nous sommes quatre : Michel Jérôme, Marc et moi. …. Jamais de ma vie je n’ai fourni un effort aussi important !
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J’aurai voulu prendre du temps, contempler, retrouver les images « classiques » qui identifient le sommet, et en trouver d’autres pour moi. Où donc Marc a-t-il déployé son fameux « triplace » avant de décoller il y a deux ans ? ….. J’envie encore Michel qui arrivé plus d’une heure avant moi a eu le temps de le faire. Mais je suis bien conscient de l’état un peu limite dans lequel je suis, aussi quand mes amis me disent qu’il est temps d’engager la descente, il doit être entre 11H et 11h30, je leur emboite le pas. Dans la descente, mon état de fatigue se traduit par une grande difficulté à conserver mon équilibre dans les passages où il a des blocs à enjamber…. Marc reste prés de moi, me donne à boire et une barre à croquer….

Entre 6500 m et 6400 m Marc me dit :

-     On va couper par cette pente d’éboulis, c’est plus court pour la descente…

-        Non Marc ! et les sacs, il faut les récupérer, j’en ai besoin, j’y ai toutes mes affaires importantes…

-        Pas question tu es fatigué, on redescend par-là ! Les sacs on s’arrangera pour les faires redescendre demain….

Je m’incline, passablement inquiet. Abandonner son sac en montagne est un acte à éviter absolument! Dans mon sac il y a tout ! Mon parapente bien sûr, mais aussi tous mes papiers, mon billet d’avion, etc … et aussi mon carnet de voyage et mes dessins. Si nous avions décollés, nous nous serions posés dans la vallée à deux jours de marche, et j’aurai voulu immortaliser sur mon carnet de voyage le site de notre atterro… J’ai appris entre temps que cette décision de modification de notre itinéraire de descente avait été suggérée à Marc par Eduardo lors d’une vacation radio qu’ils ont eu pendant la descente.

 

La doudoune bleue, modèle « René Desmaison »

En arrivant au sommet, j’avais sept couches de vêtements sur le haut du corps (quatre en bas), la dernière étant la maintenant fameuse doudoune bleue que m’avait prêté Jean-Philippe. Cette doudoune achetée en « kit »,  fut fabriquée par ma chère mère (assistée de Jean-Philippe), un jour de canicule à Roubaix, et elle était en maillot de bain, si on en croit la légende ! Les plumes volaient et se collaient à sa transpiration. C’était il y sûrement plus de trente ans. Jean Philippe ne l’utilisa guère, car ce fut l’époque où l’apparition des fourrures polaires (plus pratiques et moins fragiles) supplanta complètement ce qui était à l’époque le signe distinctif du véritable alpiniste. Depuis cette date, cette doudoune attendait dans son placard son heure de gloire. Je pense que celle- ci est arrivée ! Merci maman !

 

La descente par le raccourci se révèle en effet plutôt commode, et vers 15 h nous arrivons à notre camp d’altitude de Nido de condores. Dans ma tête nous ne devions  pas nous y arrêter, nous devions encore descendre les 1200 m pour regagner le refuge à Plazza de mulas. Mais nous y retrouvons Benjamin et Jérôme, qui nous accueillent. Ils savent que je suis fatigué, je m’allonge dans la tente, Benjamin nous fait de thé chaud, quel délice, quel bonheur, le repos enfin…..
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Difficile de se relever, je suggère de redescendre, mais mes amis proposent que nous restions ici cette nuit, Marc Jérôme et moi, dans l’une des tentes du camp. J’hésite un moment, mais il est tellement bon de rester couché ! Pour le moment, il fait beau et la perspective d’une dernière nuit dans cet endroit mythique finalement me convient…Les quatre autres redescendent…

Ce fut une nuit épouvantable. 
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A la tombée de la nuit, le vent s’est levé. En tempête. Sortir de la tente pour aller chercher de glace et envisager de la faire fondre dans ces conditions fut au-dessus de nos forces, heureusement il nous restait un peu d’eau au fond des gourdes. Avec une barre de céréale, ce fut notre collation du soir.

A ce moment là seulement je remarque que j’ai quelques doigts dont l’extrémité est un peu noircie et qui me font un peu mal. Je pense bien sûr à un « début » de gelure, mais je ne comprends pas bien l’origine de celle-ci, car à aucun moment dans la journée je n’ai ressenti une impression particulière de froid, et je ne me rappelle pas avoir particulièrement exposé mes mains, protégées d’épaisses moufles en permanence…

La nuit fut terrible, la tente furieusement secouée par des rafales, pas moyens de fermer l’œil malgré la fatigue. A un moment dans la nuit, nous entendons des cris, on nous dit que notre seconde tente (vide de ses occupants, mais lestée de pierres) s’est envolée, et nous retrouverons effectivement le matin un carré de tapis de sol et quelques pierres…. C’est très long d’attendre le matin dans ces conditions !
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Lever du jour au camp de nido de Condores..

Dés le matin, je descend de Nido de condores, et je montre mes doitgs à un médecin présent dans le refuge (et à ce moment là, je pense encore que c'est anodin). Eduardo prévient les médecins du poste médical, et ceux ci diagnostiquent, cing gelures: trois de premier degré, deux de second, dont une grave. Ils m'enmènent au poste de secours ou je passerai la journée et la nuit, et ils prodiguent le premiers soins: bain d'eau tiède iodée, trés progessivement réchauffée... J'essaye d'appeler la France et laisse un message sur le répondeur, Anne est probablement encore dans le hoggar...

Lundi 10 décembre

Je dois être évacué, et il n’est pas souhaitable que je descende à pied (un jour entier de marche), car cela n’est pas bon pour la circulation du sang dans mes mains, aussi mon évacuation est prévue à dos de mule le lendemain dans le même convoi que notre matériel, pendant que mes amis descendront à pied… Les médecins du parc me demandent de me présenter dés que possible à l’hôpital de Mendoza.

Durant ce temps là, mon sac est toujours là haut à 6300 m ! Je m’inquiète de son sort, j’ai peur qu’il se soit envolé du fait de la tempête, mais un porteur est parti le chercher, et il me faudra attendre le soir pour être sûr qu’il ait bien été retrouvé (sous la neige !).

Je souhaite exprimer ma gratitude à tous ceux qui m’ont pris en charge dés ce moment : le médecin français (Roubaisien installé à Maubeuge !), les deux médecins argentins du poste de secours, Eduardo et son équipe du refuge, qui m’ont pris en charge avec le maximum d’efficacité mais aussi tellement de gentillesse….
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Mardi 11 décembre.

En fin de matinée, je retourne au refuge : le convoi de transport de notre matériel se prépare à partir. On me présente les deux arrieros qui vont m’accompagner : Sergio et Facundo (qui hélas ne parlent pas plus français que je parle espagnol). Ceux-ci me présentent la mule qui va me transporter. J’essaie d’engager avec cette dernière une relation de confiance et de sympathie. Peine perdue semble-t-il, elle n’accepte aucune caresse, et ne se laisse approcher qu’à contre cœur, le regard mauvais.  Quand tout est bien arrimé, Sergio chausse sur ses basquets une énorme et magnifique paire d’éperons avec un mollette d’au moins 5 cm de diamètre, c’est le signal du départ : nous nous ébranlons. Nous sommes sept, quatre mules de bât, deux arrieros, et moi. La selle traditionnelle est bonne et confortable avec de beaux étriers en bois, la mule est accrochée par son licol à la selle de Sergio. Pour ma part j’ai les pansements aux doigts et mes grosses moufles, les mains posées sur la selle. A priori, je n’aurai donc rien d’autre à faire que d’admirer le paysage. 
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Nous parcourrons 200 m, le relief plonge de manière impressionnante, et le convoi s’arrête, il semble que ma mule ne supporte pas de devoir descendre entravée, Sergio me fait descendre, une manœuvre compliquée de changement de selle est engagée,  je propose de descendre l’escarpement à pied, ce qui semble leur convenir…

Arrivé en bas, ils me demandent de remonter sur la mule, ils la détachent, et passent la corde d’attache du licol autour de l’encolure. Je me retrouve donc en liberté, avec pour guider ma mule, un simple licol, et le convoi repart….

Nouvel arrêt du convoi : devant se présente un champ de pénitents. Les mules de bât (qui généralement sont devant) hésitent. Un coup de sifflet de la stridulation idoine encourage la première à chercher et trouver le bon passage. La descente se poursuit, le paysage est absolument magnifique, et pouvoir le contempler ainsi tranquillement assis sur ma mule est un très réel plaisir. J’enrage seulement de n’avoir sous la main ni appareil de photo ni caméra pour enregistrer tant les paysages que les scènes dont je suis spectateur et je me concentre au maximum pour n’en pas perdre une miette…. 
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Notre ami le condor est plus à l'aise que nous dans l'aérologie turbulente de la vallée, mais celle ci est surtout pour ce charognard un magnifique garde manger, tant elle est jonchée de carcasses de mules!
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Moins rustique que les mules, mais plus "classe"il y a aussi quelques chevaux, tel ce magnifique bai brun qui attend son cavalier à Plazza de mulas...Je devais bien cet hommage à ceux qui furent mes premiers compagnons d'aventure avant la motagne et le parapente...

Un peu plus loin,  c’est une mule dont le chargement part de travers. Et une charge de travers, une mule, ça l’agace ! Et une mule agacée, ça s’énerve, ça part dans tous les sens plutôt que de s’arrêter et d’attendre sagement qu’on lui rééquilibre sa charge. Lancés à la poursuite de la mule Sergio et Facundo l’acculent contre un ravin. Il en faut plus pour décider une mule à s’arrêter, elle cherche à s’échapper, mais déséquilibrée par sa charge de travers elle plonge dans le ravin à la renverse….. 
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Je commence à comprendre pourquoi on voit tant de carcasses de mules le long du chemin ! Nos deux hommes mettent pied à terre et descendent dans le ravin remettre les choses en ordre. Ils me font signe de continuer pendant qu’ils commencent à récupérer l’animal et la charge éparse ! Comme je ne veux pas les retarder, j’obtempère…. suivi par les autres mules. Me voilà donc chef muletier en charge du convoi !!!!

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Un peu plus loin, je suis rattrapé par un autre arriero que je ne connais pas qui me demande de mettre pied à terre. Je ne comprends pas, mais je m’exécute : aussitôt  il resserre la sangle de ma selle avant de me faire remonter ! C’était Sergio qui affairé à rétablir le chargement s’était inquiété de moi, et avait envoyé un de ses collègues de passage en éclaireur… Quelle gentillesse !

Sergio et Facundo finissent par me rattraper….

La vallée s’élargit un moment, ma mule (à qui je laisse la plus grande initiative dans le choix de l’itinéraire) ayant fait un léger détour, j’avais perdu le contact. En rattrapant le convoi, je constate une agitation inhabituelle : nuage de poussière, galopades dans tous les sens, des mules et des arrieros ! Que se passe-t-il ? Je remarque posé sur le sol, le grand sac de voyage rouge de Michel, je comprends : une mule a perdu une partie de son chargement, et Sergio et Facundo essaient de la rattraper ! Je les vois galoper pour essayer de la coincer, et ils font tourner au-dessus de leur tête leur « bolas ».
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       J’avais remarqué accrochée derrière leur selle, mais je croyais que c’était pour le décorum, cette bolas qui est au gaucho de la pampa et à l'arrieros des montagnes ce que le lasso est au cow-boy : une corde de cuir tressé où le nœud coulant est  remplacé par une boule lestée qui s’enroule autour de l’encolure ou des membres de l’animal capturé. Ici ils m’en font une démonstration en « live » ! Une fois la mule capturée par la bolas, il faut l’approcher et le maîtriser, et ce n’est pas une partie facile, cette dernière n’y mettant aucune bonne volonté ! La technique est la suivante : Celui qui a capturé l’animal avec sa bolas reste bien calé sur sa mule, la corde de la Bolas, accrochée à la selle restant en tension (ce qui est à priori facile, car la mule récalcitrante de l’autre coté tire pour s’échapper…). Le second gaucho met pied à terre, détache un grand foulard qu’il a autour de la taille, et s’approche progressivement de la mule le long de la bolas, avec une lenteur calculée.
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Arrivé à proximité de la mule, doucement il lui passe le foulard autour de l’encolure, puis d’un geste vif, ramène celui-ci sur les yeux de celle-là, et là le tour est joué, aveuglée la mule s’immobilise immédiatement et se fige sur place, telle une statue de marbre ! Il ne reste plus qu’a refaire le chargement, récupérer les autres mules du convoi et on repart ! La technique de l’aveuglement de mules pour les immobiliser est d’ailleurs couramment utilisée lors de haltes ou des opérations habituelles de chargement/déchargement.

Mais tout a une fin, même les plus longues vallées. Après une halte casse-croute au camp de Confluencia, un nouveau rodéo de mule, cette fois il fut nécessaire de capturer une des mules qui s’était prise le membre antérieur dans son licol, mes deux amis me déposent à l’entrée du parc National. Je fais mes adieux à ma mule, finalement, elle a été parfaite ! 
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Dommage que je ne puisse lui faire sentir combien j’ai apprécié sa prestation ! Je suis pris en charge par un garde, et je retrouve mes amis. 
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Nous récupérons notre matériel déchargé des mules, et prenons la route pour Mendoza où nous arrivons à 23h. Mes amis me déposent aux urgences de l’hôpital central et regagnent notre hôtel où une bonne douche les attend sûrement…

Les urgences de Mendoza, c’est bien sûr un autre monde. J’y suis carrément incongru avec mon sac et ma tenue de montagnard dans cette ambiance quasi tropicale. Sans parler la langue, difficile de comprendre comment cela fonctionne. Il y a du monde partout, malades et blessés attendant d’être examinés, ou bien famille attendant la sortie d’un proche ? Hurlement de sirène, un arrivage de brancards ensanglantés, prioritaires évidemment. Mouvements de foule quand s’ouvrent des portes, je rentre… Rangée de box d’examens d’une propreté plus que douteuse (et dans ce domaine, je ne suis pas parano !). Trouver quelqu’un qui parle un peu français ou anglais ? Les gens sont gentils, qu’ils soient dans la catégorie « patient » ou la catégorie « soignant ». Le mot « Aconcagua » éveille toujours un peu d’intérêt. Finalement je suis pris en charge et on m’explique qu’ici on ne peut rien pour moi, qu’il faut que j’aille dans un établissement spécialisé demain matin, l’hôpital Maggiore. Je sors et me retrouve dans la rue à 1 h de matin. J’ai un billet de 10 pesos dans la poche, je connais le nom de l’hôtel. Je cherche un taxi, je tombe sur une patrouille de flics armés jusqu’aux dents, je tente de leur expliquer mon cas, ils me prennent en charge et me voilà dans le panier à salade. Ils ne connaissent pas l’hôtel Horcones, ils appellent le central par radio qui ne connait pas non plus, ils arrêtent un taxi qui trouve l’hôtel. Une douche, un lit…..

 

 

Mercredi 12 décembre. Dés le matin, trouver une « cash machine », puis un taxi pour l’hôpital Maggiore….

Beaucoup de monde bien sûr. Je brandis mon passeport et le papier que m’ont fait les médecins du parc et celui de l’hôpital central, j’arrive à obtenir une consultation externe, l’infirmière refait mes bandages, et me passe crème sur les brûlures de mon visage. Je ressens encore la douceur de ce geste. Ils me disent que je dois revenir le lendemain. Mais je me rends à l’évidence que je ne peux pas être soigné de manière satisfaisante ici, car je ne parle pas l’espagnol et ne comprends que très approximativement ce qui m’est dit. Retour à l’hôtel. J’arrive à contacter Julien puis Anne ( au musée d’Orsay), au téléphone qui enclenchent les opérations d’assistance auprès des assurances…Procédure de rapatriement sanitaire par inter-mutuelle-assistance (efficace), mon retour est avancé de deux jours par rapport au plan d’origine…

 

Jeudi 13 décembre : Le taxi affrété par inter mutuelle assistance me prends à l’hôtel et me dépose à l’aéroport de Mendoza, vol Mendoza Santiago du Chili avec vue magnifique sur la face sud de l’Aconcagua, puis vol Santiago Roissy en Business Class : foie gras, champagne…

 

Vendredi 14 décembre. Arrivé à Roissy 11 h 25, accueilli par Elsa et Camille, transfert à l’hôpital Pompidou pour voir un chirurgien, puis TGV pour Valence….

 

 

Je tiens à remercier tous ceux de mes camarades qui m’ont soutenu dans mes moments de défaillance, mais surtout Marc à qui je dois cette magnifique aventure et qui fut exemplaire du début à la fin !

 

 

Bilan médical :

Le doigt le plus abimé est le pouce gauche (hélas la main qui dessine), la dernière phalange sera amputée. Le pouce droit et le majeur gauche devraient guérir.

L’annulaire gauche est déjà presque guéri, juste une insensibilité à l’extrémité qu’il faut encore ménager.

Les Dessins.

L’aventure, j’aime la vivre, la raconter, mais aussi la dessiner. Cette fois-ci j’ai eu de bonnes occasions de bien travailler. La très haute montagne avec ses fréquentes périodes de repos offre cette opportunité que n’offre pas la pratique traditionnelle de la montagne beaucoup plus « speed ». J’ai eu très peur de tout perdre à 6300 m, mais grâce à Juan, le porteur, j’ai tout récupéré.

Il me reste a m'habituer à la nouvelle configuration de mes mains pour complèter mon carnet et transcrire tout ce que j'ai dans la tête....

 

Pierre-Do Bayart, le 20/12/2007
pbayart@orange.fr

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commentaires

J
Pour avoir une petite (?) idée du gros cailloux dont auquel il est question... http://www.planeur.net/index.php?option=com_content&task=view&id=146&Itemid=85
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J
Non monsieur ! La doudoune bleue n'est pas restée dans un placard jusqu'à cette - réélle - heure de gloire Aconcaguesque... Elle m'a rendu de bons zet loyaux services pendant des années, notamment en février 76 au refuge de la Femma (pour la petite histoire, au retour sur Félix Faure, nous retrouverons Pierre qui montait avec sa soeur...). Le montage de la doudoune avec Mamy fût effectivement grandiose, mais certains détails vestimentaires relatés sur ce post sont passablement romancés (comme quoi, on trouve tout et n'importe quoi sur internet !). Une précision capitale au vu des services rendus par cette doudoune : il s'agissait de répartir comme il faut la plume. L'angoisse était d'en mettre suffisamment partout. Bien entendu, nous nous sommes trouvés à cours de plume sur la fin.... Mamy Poulette avait plus d'un tour dans son sac, et elle dénichat un vieil oreiller qu'elle éventrat séance tenante pour finir le travail. La plume était de moins bonne qualité, et c'est la raison pour laquelle le toucher de la doudoune est moins soyeux sur la face externe que sur la face interne. Mais c'est certainement ce surplus de plume qui fit que le heros de cette aventure ne fût que partiellement atteint par la morsure du froid. Je pense que cette doudoune fait maintenant partie du patrimoine familial !    
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