Samedi 15 septembre, gare SNCF du Fayet, nous nous retrouvons à quatre : deux « jeunes » : Olivier et Thibault (24 et 27 ans), deux « anciens », Marc, bien connu au
sein de la FFVL pour son travail concernant le vol libre dans les Parcs nationaux, et moi-même. Cela nous fait une moyenne d’âge de 46 ans…
Avec Thibault et Olivier, nous avions fait pour nous préparer une première course d'entrainement en Oisans à partir du refuge Adèle Planchard:
Depuis Adèle, le soleil se lève sur les Ecrins
C’est l’occasion de vous proposer deux « visions » de notre aventure : celle des « jeunes » : https://vimeo.com/49784857 et
celle d’un « ancien ».
Le programme ? L’ascension intégrale du Mont Blanc, en partant de la plaine du Fayet, soit 4307 m à gravir à pied, pour décoller du sommet en parapente, d’où le nom du projet « vol
4307 », logo détourné de celui de nos amis du club de Saint Gervais, organisateurs du célèbre « vol 4807 ». Pour cela nous avons prévu quatre jours.
Nous avons décidé de réaliser cette aventure dans le cadre du concours « Changer d’approche » organisé par l'association "Moutain Wilderness", l'association qui cherche à préserver la
la Montagne de toutes les agression qu'elle peut subir. Le but du jeu est de réaliser une sortie originale réalisée sans utiliser de voiture particulière, uniquement des moyens de transports
naturels, ou des transports en commun.
Pour gagner le sommet du Mont Blanc, différents point de départ sont possibles...
Premier « bug » : le train de Thibault et Olivier de ce matin est supprimé ; ils ont dû se rabattre sur le stop, mais ils sont arrivés à l’heure !
Le bistrot « La Pause » en face de la gare (altitude 581 m) nous offrira très aimablement une « consigne » pour optimiser le poids de nos sacs.
Nous attaquons la montée : ce soir nous dormirons au refuge des « Fioux » (1500 m) sous le col de Voza. Il n’y a pas d’itinéraire direct et nous aurons besoin du GPS d’Olivier pour
retrouver la jonction entre deux sentiers par une rude bagarre, perdus que nous étions dans des pentes raides et boisées.
Pause sous "La Charme", je ne le sais pas encore, mais c'est d'ici que je décollerai aprés demain...
Dimanche temps magnifique, nous montons au refuge de Tête Rousse, (3167 m) par l’itinéraire escarpé récemment réhabilité des « Rognes ». Assez vite nous trouvons la neige tombée
la semaine dernière, et il nous faudra chausser les crampons. Casse-croûte à proximité de la cabane forestière des Rognes, en compagnie d’une maman bouquetin et de son petit.
Ce soir vacation avec Sébastien notre « routeur météo » qui nous confirme les informations météo que nous avons glanées : aujourd’hui fut une superbe journée, mais demain le vent
se lève en WNW tournant au WSW, et mardi cela se renforce ! C’est le scénario que nous craignions. En effet notre plan optimal était pour demain de gravir le délicat et dangereux, mais
relativement court, itinéraire qui mène au refuge du Goûter au sommet de l’aiguille de même nom (3850 m), y passer la nuit pour attaquer le sommet mardi. Mais si nous voulons avoir une chance de
voler, il nous faut enchaîner les deux étapes prévues dans une seule journée, soit un dénivelé total à gravir de plus de 1600 m !
Nous rencontrons Guillaume, un parapentiste solitaire mais néanmoins sympathique, qui fait un parcours original : il a décollé ce matin des Dômes de Miage, s’est posé au sommet du Mont
Lâchât, à proximité du départ du sentier des Rognes, et il monte demain au Mont Blanc. Je retrouve aussi Éric, guide et moniteur de parapente, 8e de l’Air Tour 2012.
Dôme de Miage, Eric se dirige vers le déco... c'était en 2004..
Lundi, réveil à 1 h 10, pour attaquer dans la nuit l’escalade de l’Aiguille du Goûter avec la traversée du « couloir de la mort », célèbre par ses chutes de pierres meurtrières.
Heureusement les chutes de neige récentes ont stabilisé la situation, mais cet été pendant la canicule, la traversée de ce couloir fut tout simplement interdite par arrêté municipal. Puis
escalade de l’éperon équipé de câbles métalliques pour ses passages délicats. Arrivée sans encombres au « vieux » refuge, dont l’activité est prolongée tant que le nouveau refuge,
construction ultra moderne mettant en œuvre toutes les ressources de la « technologie écologique », tarde à ouvrir (nous avons failli en être les premiers « clients » si des
difficultés techniques n’avaient pas retardé son ouverture à 2013).
Le terrain devient facile, montée au Dôme, lever du soleil, mais le vent est déjà bien établi. Traversée sur le refuge Vallot, où nous croisons Guillaume qui revient du sommet : il nous
confirme que ça ne décolle pas, il redescend pour essayer de s’envoler du Dôme.
Depuis le Dôme su goûter: lever de soleil sur le sommet.
Nous attaquons la fameuse arête des Bosses qui mène au sommet : encore 400 m ! Mais pour moi c’est dur, vraiment très dur ! Première bosse, la grande, puis la seconde. Je
n’arrive plus à avancer. Plus de forces, la volonté seule… J’attaque le ressaut qui suit, il y en a encore un plus important après puis c’est l’arête terminale. Mais c’est trop, je dépasse mes
limites. Je ne veux pas m’exposer davantage, je sais ce qu’il en coûte d’aller trop loin. Je propose à Marc de faire demi-tour. Si nous voulons avoir une chance de décoller, il nous faut garder
quelques forces. Marc accepte, nous expliquons à Thibault et Olivier qu’ils sont tout près du sommet, nous sommes à 4600 m, c’est leur premier Mont Blanc, c’est leur tour d’y aller !
Nous nous séparons en nous souhaitant bonne chance.
La descente est facile. Nous pensons déplier à l’amorce de la descente du Dôme, mais le vent est vraiment fort. Je pense qu’il faut descendre, là où j’avais décollé l’an dernier. Nous trouvons un
premier emplacement, mais en fait nous sommes passés sous le vent. Un espoir de décollage est vite déçu : vent travers, voiles qui glissent sur la neige. Plus bas peut-être ? Là c’est
carrément vent arrière. Plus bas encore ? Nous voyons passer au-dessus de nous les voiles de Thibault et Olivier : après avoir atteint le sommet ils ont trouvé l’endroit pour décoller
du Dôme. Pas facile mais ils y sont arrivés. Pour eux l’aventure se termine cet après-midi. Magnifiquement !
Avec Marc, nous avions une réservation au refuge du Goûter, nous allons l’utiliser ! Demain est un autre jour. Si nous ne décollons pas demain matin, à nous la descente intégrale du Mont
Blanc à pied !
Longue nuit réparatrice, lever à 7 h. Nous remontons voir comment se présentent les choses, mais le vent est maintenant bien établi, sud. Décollage interdit.
Il ne reste plus qu’à descendre ! Calmement, bien encordés. La traversée en sens inverse du « couloir de la mort » nous met à l’abri du danger, puis c’est la longue descente en
style randonnée qui commence.
Nous descendons le désert de Pierre ronde. Je réprime un sanglot d’émotion. Emotion de bonheur d’abord : rentrer d’une belle aventure pour retrouver les siens, c’est pour moi une des formes
du bonheur. Mais comment ressentir ce bonheur avec le souvenir si présent de la disparition de Claude qui en a été privé? C’est aussi le bonheur de savoir que Thibault et Olivier ont
réussi, mêlé à la déception du vol que nous n’avons pas pu faire, tout se mélange…
La descente sur Bionnassay est absolument magnifique. J’ai survolé cette vallée déjà deux fois, mais vraiment il faut aussi la parcourir « par en bas ». Cette envolée de glace
vers le ciel, ces alpages qui s’insinuent entre les glaces, cette plongée vers la forêt. J’avais oublié. Mon dernier passage ici date de 1966, l’année de mon premier Mont Blanc, dont le sommet
était recouvert par les débris du Boeing 707 Kangenjunga de Air-India qui s’y était écrasé l’hiver précédent. Cet été 2012, en bas du glacier des Bossons, il a été retrouvé un sac de courrier qui
était dans l’avion, il a pu être remis aux autorités qui feront parvenir celui-ci à leurs destinataires, avec 42 ans de retard !
L'envolée de glace de l'aiguille de Bionnassay.
J’avais oublié la beauté du site, et je n’ai pas à regretter d’avoir l’occasion de le parcourir cette fois-ci.
Il nous reste à traverser sur Bellevue où nous prendrons le TMB (Tramway du Mont Blanc) qui nous redescendra au Fayet. Il est 15 h, il me vient une idée ! Il existe des « décos »
classiques dans le secteur de Prarion, pourquoi ne pas conclure notre périple par un vol qui nous ramènera direct au Fayet ?
Je propose l’idée à Marc, mais finalement il préfère « assurer » son retour ; il est vrai que nous marchons depuis huit heures sans avoir fait une seule pause. Par contre il
accepte de me délester d’une partie de mon matériel de montagne dont je n’ai plus besoin pour me faciliter la recherche d’un décollage. Double coup de chance, la jeune femme qui vend les
billets de TMB sait répondre à ma question « Où se trouve le plus proche site de décollage parapente? ». C’est le site de « Charmes ». Avec un nom comme celui-là, pas
question d’hésiter ! Mais il faut me presser car la pluie menace. Il y a quand même 220 m à gravir en fin de journée, mais je suis motivé. Ce site est magnifique, sain et bien orienté. Je
décolle, un peu de pluie se met à tomber, mais ne compromet pas mon vol ; je me pose à l’atterro officiel dit « Batistock ».
Heureux.
Rejoindre la gare, à pied bien entendu, récupérer les affaires au bistro (très sympa) de « La Pause », en face de la gare. Marc était passé une demi-heure plus tôt, et avait sauté dans
un train pour Aix-en-Provence. Avaler une bière, puis retour par le train.
Quelle réussite au niveau de l’équipe que nous avons créée, complètement hétéroclite au départ en terme d’expérience et de génération! Nous nous sommes retrouvés d’accord sur les choix, l’esprit,
les enjeux. Les jeunes ont pris en charge quelques kilos de matériel aux « vieux », qui eux ont pu transmettre des petits bouts d’expérience. Sur cet aspect une réussite totale, un vrai
bonheur.
Grand merci à tous.
Post Scriptum: notre périple au Mont Blanc remportera le premier prix dans la catégorie parpente du concours "Changer d'approche" 2012 organisé par "Moutain Wilderness"